PETITE HISTOIRE N°24

 
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Le 29 mars 2020

Ce fut le silence qui le réveilla, un silence anormal, de mauvais augure pour le capitaine expérimenté qu’il était. Il s’extirpa en hâte de son sac de couchage et quitta sa cabine, traversa le carré, gravit les quelques marches qui le menèrent sur le pont.
Il leva immédiatement les yeux vers le gréement mais celui était réglé précisément. Vent arrière, la voile latine tenue par sa livarde était bien gonflée. Rassuré, il baissa la tête et se retourna mais…


Le timonier ne se tenait pas à son poste, aucun marin ne vaquait à sa tâche !
Les bouts dont certains étaient lovés avec soin gisaient çà et là, le lave-pont appuyé contre le bastingage attendait à côté de son seau.
Il appela, plusieurs fois, en vain, redescendit et se rendit dans le quartier de l’équipage.
Personne. Les couchettes étaient vides.
Dans le carré, quelques assiettes pleines avaient été abandonnées sur la table, les volutes de vapeur qui s’en élevaient montraient que la nourriture était encore chaude.


Il se précipita dehors, observa l’étendue d’eau tout autour du bateau, n’y découvrit que des flots absolument lisses. Sur la mer d’huile n'apparaissait aucune ride.
Aucune ride ? Cela signifiait qu’il n’y avait pas un souffle de vent.
Son regard se porta à nouveau sur la belle voile à l’avant.
Comment était-ce possible ?
Comment une voile pouvait-elle être gonflée sans vent ?


Une goutte de sueur perla soudain sur son front, son souffle s’accéléra tandis que son cœur battait de plus en plus fort. Un profond malaise s’empara de lui en même temps que la sensation oppressante d’une présence dans son dos.
Il se retourna vivement et l’aperçut.
Gigantesque, énorme, menaçant.
Le nuage occultait entièrement l’horizon et sa couleur foncée ne présageait rien de bon.
Un grondement inquiétant se fit entendre, lointain encore, mais la longue expérience du marin lui dictait de ne pas perdre une minute.
Il devait affaler les voiles rapidement.
Seul, c’était une manœuvre impossible !
Pour la première fois de sa vie, il sentit la panique l’envahir.
Mais comment…


« Capitaine, nous avons accosté, le bateau est amarré. Capitaine ? Excusez-moi de vous avoir réveillé, je vous disais que… »